L’or et la nuit, 2023

L’or et la nuit

Galerie Le Feuvre & Roze

solo show – 2023 – Paris

L’or et la nuit

La jungle. L’envie de s’y enfoncer au plus touffu, au plus secret, au plus profond pour retenir avec ses pinceaux « l’Or et la Nuit ». Bruno Gadenne chemine en immersion. Souvent, pendant les mois d’hiver, il met le cap sur ces jungles d’Amérique ou d’Asie. Il fuit la grisaille qui éteint nature et couleurs dans ces cathédrales végétales tapissées d’humus et de rivières où la lumière pleut. Il y pénètre avec sa machette, sa tente suspendue, son GPS et assez de pain et de beurre de cacahuète pour tenir l’aventure. Enfant, il se souvient d’avoir passé des jours à rêver au Baron Perché d’Italo Calvino et à apprendre les végétaux avec son père scientifique. Cela lui a donné assez de hauteur pour mener ses expéditions. Il sait que rien ne peut lui arriver. Il n’a pas peur, ni des serpents ni des alligators. Il ne craint que les braconniers. A mesure qu’il avance, il se sent dans son monde. Œil écarquillé, le peintre se mue en « homme jaguar ». 

Ses jungles, il les arpente à pied ou en canoë. Dans son sac un appareil photo et de quoi dessiner. Il se déplace en solitaire immergé dans un monde qu’il connait bien mais dont on ne parle guère. Il veut s’en faire « l’ambassadeur » selon le mot de Baptiste Morizot. Il lui faut rapporter aux humains le témoignage du monde sauvage pour recréer des liens. Il lui arrive de se peindre dans ce décor, nu comme sont nus les animaux, pour mieux jouir de la symbiose. La jungle, il fait corps avec elle. Elle ne lui tient pas lieu d’une mystique ou d’un ailleurs, pas davantage d’une quête qui le révélerait à lui-même. Il la détaille en explorateur naturaliste, ému de retrouver son élément, s’en gorge jusqu’à l’ivresse, photographie des milliers de vues, esquisse des centaines de croquis. Luxuriance, abondance, enchevêtrements qui émerveillent, et puis l’eau, les reflets…L’œil observe chaque feuille, chaque plante, chaque insecte, sa manière de grimper, de s’épanouir, de se découper, de prendre la lumière. Et la peinture de Bruno Gadenne s’enracine à cette béatitude.    

Rentré à l’atelier, il rejoue le voyage. Autre solitude dédiée cette fois à la « cuisine de la peinture » selon son expression. A partir des photos, des dessins, de souvenirs, d’impressions, il recompose longuement des paysages qu’il n’a pas vus. Ou pas  tout à fait. Ni dans cette lumière. Ni avec ce fleuve ni avec ces papillons ni sous cette lune ni dans cette transparence. De plus en plus, il ne s’interdit rien, ouvert aux éblouissements qui bousculent la contemplation. Il fait chanter les étoiles, peint au ciel des roses toxiques qui trompent le crépuscule, couvre la nuit d’un glacis violet, regarde l’or de la voie lactée pour rejouer l’instant d’une rencontre avec l’éternité. Et modèle des mains de glaise humbles qui rapportent les trésors de cet ailleurs, et des serpents enfouis dans les feuilles.  Inquiétante  étrangeté d’une peinture de paysage claire et nette, comme une photo bien composée, et pourtant jaillie du foisonnement de la terre. Elle en tire sa puissance vertigineuse. 

Ariane Bavelier